Lorsque les acteurs du tourisme cherchent à mesurer la présence des touristes à Marseille grâce aux données de la téléphonie mobile, quelle n’est pas leur surprise de compter de nombreux philippins en séjour plus ou moins long à Marseille! Ce sont majoritairement des marins. Sur les 1,5 millions d’employés de la marine marchande dans le monde, un quart est philippin. A leurs côtés sont aussi présents des marins russes, chinois, ukrainiens et indonésiens pour ce citer qu’eux. 25 navires font escale chaque jour dans le Port de Marseille Fos. Qui accueille les marins en escale à Marseille?
Cette enquête a été menée grâce à une rencontre avec l’association d’Accueil des marins à Marseille (AMAM). Les citations sont celles de Marc Feuillebois ou de Gérard Pelen, respectivement directeur et président d’honneur de l’AMAM. Nous les remercions grandement pour leur accueil et le temps qu’ils nous ont consacré.
L’accueil des marins : une longue histoire de Marseille

Marseille a été pendant longtemps une ville mer-mer avec un accès difficile par les terres. L’accès par la mer a donc été pendant longtemps l’une des seules manières d’entrer dans la ville. Jusqu’à son mythe fondateur, l’accueil des personnes venues par la mer est une caractéristique de notre ville. Pour le meilleur et pour le pire !
Cet article se propose de faire un focus sur l’accueil des marins et, en particulier, sur les activités de l’AMAM.
L’AMAM a été créée en 1994 et accueille dès 1995. L’initiative de l’association revient à un prêtre catholique via le mouvement chrétien Mission de la Mer (Stella Maris).
« L’accueil en général a été organisé principalement par des religieux partout en Europe, par des religieux de toutes les confessions ».
Aujourd’hui l’association n’est plus associée à une religion et elle accueille tout marin en escale à Marseille, quelle que soit sa religion, sa nationalité, son métier, son genre.
Qui est accueilli ?
10.000 marins ont été accueilli en 2024, 399.000 depuis la création de l’association, de 102 nationalités différentes. « Les marins sont à 65% asiatiques avec des contrats de 9 à 11 mois au rythme de 11h par jour réparti en 2 tranches horaire, et de plus en plus 3 tranches, le tout 7 jours sur 7. Devenir marin est un choix de vie ! »
Parmi les 10.000 marins, environ 2.000 travaillent sur des paquebots de croisières, 7.000 sur les réparations et 1.000 sur les cargos.
« La réparation navale c’était 3.000 personnes par le passé, maintenant c’est 150 encadrants et des travailleurs détachés venus principalement d’Europe de l’est. C’était la négociation, sans ces travailleurs détachés il n’y aurait plus de réparation navale à Marseille ! C’est un marché mondial dans lequel les travailleurs sont malheureusement en concurrence. »
« Les marins des ferrys ne viennent pas en général car ils sont français ou corse, donc s’ils ont assez de temps, ils rentrent chez eux ».
Les réparateurs, qui représentent une grande part des personnes accueillies, ne vivent pas à Marseille, ils dorment dans des bateaux affrétés pour eux par les armateurs.

Le salaire minimum mondial est aux alentours de 600$/mois mais les marins touchent plus en général, entre 1000 et 1200$ brut (soit environ 900 €). Au-delà du minimum, les salaires dépendent des pays dont sont originaires les marins. Par exemple, les malgaches sont payés en fonction des salaires de Madagascar. « C’est pourquoi l’on peut se retrouver avec deux marins au sein du même bateau, avec le même métier, mais pas le même salaire ! ».
Les marins doivent payer leurs protections sociales mais aussi « un droit » à travailler auprès d’une entreprise qui va gérer son dossier administratif auprès des armateurs. « Cela représente quasiment un mois de salaire ! Et le restant est généralement envoyé à la famille restée à terre ». Les marins ne sont pas payés pendant leurs congés aussi, ils doivent donc prendre tout cela en compte pendant leurs escales et la plupart n’ont donc pas les moyens de se payer un taxi à l’arrivée à Marseille, ne serait-ce que pour aller en ville.
« Les personnes qui viennent sont toutes des marins mais peu sont des officiers car ils ont un pouvoir d’achat bien plus élevé qui leur permet d’aller en ville comme ils le souhaitent. Les officiers n’ont pas les mêmes conditions du tout, ils sont salariés et leur salaire peut avoisiner les 10 000 €/mois, voire plus. »
L’association permet donc un sas en dehors du bateau le temps de l’escale, le temps d’une pause. « Les pauses des marins de paquebots se sont raréfiées depuis quelques années à cause de conditions imposées à bord avec notamment des shifts plus nombreux et une interdiction de descendre en tenue de travail, rendant parfois la descente peu attrayante pour la durée restante. Pour les cargos c’est différent car les escales sont plus longues, ils peuvent donc venir le soir et se détendre. Ceci dit, les armateurs cherchent aujourd’hui à fidéliser les marins et améliorent en conséquence la qualité de travail ».

Pourquoi accueillir spécialement les marins ?
« Les marins vont à l’hôtel seulement dans le cas des embarquements et débarquements, c’est-à-dire lorsque leur mission commence ou s’arrête. Avant, les marins pouvaient aller à l’Hôtel des gens de la mer, situé au 25 rue de Forbin ».
Au départ l’association permettait principalement aux marins de communiquer avec leur famille. « On a tout connu, la boite aux lettres, le téléphone fixe, l’ordinateur et enfin l’arrivée des téléphones portables et des tablettes. Le wifi qui est maintenant gratuit. A bord, il y a généralement un forfait de 4Go par mois par marin, et les suppléments sont payants. C’est de la communication par satellite, donc les suppléments sont encore assez chers ».
Comment se passe leur accueil ?
L’association a deux véhicules dont un électrique pour aller chercher les marins et les faire sortir de l’enceinte du port s’ils le souhaitent. « Le fait de sortir du bateau est un grand plus pour les marins, qui sont 2 à 4 par cabines. Sur ce point ça s’est amélioré car avant ils étaient plutôt 8 par cabine. » En cas de maladie ou d’accident d’un marin, c’est le consignataire qui gère l’arrivée d’une ambulance.
L’association propose des espaces de détente bien équipés et une mini boutique de souvenirs… de Paris ! « Eh oui, connaissez-vous une seule ville en Indonésie ? Pour les indonésiens c’est pareil ! Pour eux, la France c’est Paris, et donc la tour Eiffel ! » Certains marins ne savent d’ailleurs même pas où ils sont, « on dit qu’ils voyagent comme des malles ».
« En 6 mois de multiples passages à Marseille certains marins n’ont même pas eu une seule occasion d’aller au Vieux Port ! ».
Ils se demandent parfois s’ils peuvent aller à Paris pendant leur 6h d’escale, ne sachant pas la distance qui sépare Paris de Marseille. « C’est possible seulement lorsque leur bateau passe par la réparation, ce qui impose une longue escale en fonction des travaux à faire ».

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) met à dispositions les locaux, l’association ne paie pas de loyer, ni l’eau, ni l’électricité. « A Port de Bouc c’est un peu différent car le bâtiment appartient à l’association, passez les voir de notre part ! »
En France il y a 21 associations qui sont fédérées, cela va jusqu’à La Réunion et Mayotte mais pas encore aux Antilles, ni en Corse.
L’association propose aussi de la nourriture asiatique « car sur les bateaux les menus sont internationaux, alors lorsqu’ils débarquent, les marins sont contents d’avoir une offre qui leur correspond plus, comme à la maison ! Mais, en réalité, ils mangent principalement à bord même en escale, alors ce sont plus des snacks, des gourmandises ».
Suite à des demandes, l’association propose également une sélection de vêtements issus de friperies, et quelques t-shirts neufs.
« Nous sommes financés en partie grâce à une fraction (0,17%) de la taxe au navire, c’est unique en France ! C’est grâce à une proposition d’amendement que j’ai rédigé moi-même ! » Le reste des financements viennent des recettes de la boutique, des quelques subventions du département, de la ville, des œuvres de la mer et de particuliers. La cotisation est de 25€/an. Les dépenses de l’association sont : les salaires, l’assurance, la location des machines à café/eau, le wifi et les investissements pour les achats de fournitures. L’association a un directeur et 2 salariées. Une espagnole et une ukrainienne depuis 2022.
« Pour avoir une partie des taxes, le Conseil des gens de la mer a travaillé pendant 3 ans. La fédération des associations a rédigé un amendement à la loi « Économie bleue » avec le député Arnaud Leroy. Cet amendement a été défendu par une députée écologiste de Dijon et adopté en 2018. C’est une grande victoire pour nous ! Nous donnons du bien être aux marins, alors après ils se sentent mieux et travaillent donc mieux, c’est primordial pour tout le monde. Des personnes à Barcelone et à Terre Neuve au Québec nous ont contacté pour faire de même ! »
Quand les marins sont-ils accueillis ? Les marins ne sont pas disponibles la journée et l’accueil se fait en général de 18h30 à 22h. « Sortir du bateau est un grand plus pour les marins ! Ils sont entre 2 et 4 dans leur cabine, si les marins des cargos peuvent avoir une demi-journée de pause, les marins des paquebots n’ont que quelques heures et doivent en plus se changer avant de débarquer, c’est parfois même moins d’une heure de détente avant de devoir remonter à bord, reprendre sa tenue de travail et remonter sur le pont ! ».
« Les marins ont un livret professionnel qui leur permet théoriquement d’aller de Port Saint Louis du Rhône, jusqu’à Arles et La Ciotat sans visa. Ils ne peuvent pas monter à Paris par exemple. »

Tableau résumé
| Marins accueilli en 2024 par l’association AMAM. | 10.000 |
| Marins accueillis depuis la création de l’association AMAM en 1994 | 399.000 |
| Différentes nationalités des personnes accueillies par l’AMAM | 102 |
Sources
- Website Seamen’s club Marseille
- Métropolitique, 2024 : L’Hôtel des gens de mer, mémoires d’un lieu de vie en zone à risques – Métropolitiques
- Ouvrage Les Marins perdus, Jean-Claude Izzo – Babelio
- Ouvrage À fond de cale, Michel Samson,
- Ouvrage Un siècle de jazz à Marseille 1917-2011, Gilles Suzanne, Éditions Wildproject
Une enquête menée avec l’aide de l’association d’Accueil des marins à Marseille (AMAM).